Les “Z” ont fait leur entrée dans les médias et chassent la génération Y du devant de la scène. Ils ont moins de 20 ans, ont grandi avec Facebook et seront bientôt sur le marché du travail. Que représente cette nouvelle catégorie sociologique ? Éric Delcroix, expert en médias sociaux, décrypte pour nous la “génération Z”. Attention, ça décoiffe !
Depuis trente ans, Éric Delcroix étudie l’évolution des médias. Rédacteur pour une revue informatique, responsable d’un centre de formation en PAO et Internet puis, pendant dix ans, du master “Médiation des contenus web” à Lille 3, l’homme collectionne désormais les casquettes : il est “community manager”, consultant, spécialiste en communication digitale et en réseaux sociaux. Mais il est aussi père de deux adolescentes et se passionne pour la “génération Z”, au point de créer le blog les-zed.com.
Qu’est-ce qui a déclenché votre intérêt pour la génération Z ?
Éric Delcroix : En 2010, une revue consacrée la protection de l’enfance me commande un article sur les dangers d’Internet. Mes filles ont 11 et 13 ans, je commence à observer attentivement leur fonctionnement. Premier constat : on stigmatise à tort les dangers d’Internet, qui présente beaucoup d’avantages pour les jeunes. Il y a, autour des médias sociaux, une incompréhension entre jeunes et adultes, qui est une projection de nos peurs à nous, parents. Un exemple :
ma fille, dyslexique, fait ses devoirs sur l’iPad. Je me suis souvent surpris à la gronder en lui disant : “Tu ferais mieux de réviser ton brevet au lieu de jouer”.
Finalement, je me faisais la plupart du temps piéger sur toute la longueur car, effectivement, elle travaillait. Mais moi-même n’ayant pas vraiment révisé mon brevet, je projetais mes craintes sur elle. De même, les “Z” lisent énormément la presse, mais pas comme nous. Eux reçoivent des alertes sur leur smartphone, qu’ils ouvrent uniquement si ça les intéresse.
Comment définir la génération Z ?
Ils sont nés entre 1995 et 2010 et sont hyperconnectés, 24h/24. Ils ont toujours connu la crise économique, les problèmes climatiques et écologiques. Ils sont hyperindividua-listes, mais ne savent pas vivre sans leurs pairs – leurs amis virtuels, un groupe de gens à leur image constitué autour d’un centre d’intérêt ou d’une identité. Ils écoutent les conseils de leur communauté.
Comment communiquent-ils ?
Facebook, Twitter, Instagram sont des outils qui répondent, à un instant T, à un besoin : une ado chez l’opticien poste des photos via Snapchat pour que les copines l’aident à choisir sa monture. Les “Z” communiquent par l’image.
Ils mangent ou étudient à toute heure : pour eux, c’est scandaleux qu’un prof n’ait pas un compte Facebook pour répondre à leurs questions après les cours. Dès 13-14 ans, ils possèdent vis-à-vis des médias sociaux une véritable maturité. Ils connaissent les limites à ne pas franchir. Et leur notion de vie privée est différente. Pour nous, elle comprend amis proches et famille. Eux choisissent leurs amis virtuels de façon utilitariste : cette personne va-t-elle m’apporter quelque chose ou pas ? Un jour, ma fille, rédigeant un exposé sur la nutrition, découvre la page web d’un spécialiste en la matière et, naturellement, le contacte et l’interviewe ! Or l’homme est une sommité : les “Z” ne s’encombrent pas de nos tabous.
Font-ils la différence entre vie réelle et vie virtuelle ?
Des études montrent qu’ils savent gérer les deux. Ils peuvent se déconnecter pendant une journée à la faveur d’un séjour dans la maison de campagne. Les médias sociaux sont, pour eux, des outils incontournables dans leur communication quotidienne, mais ils n’y sont pas hyper attachés.
Des incompétents ?
On croit que les “Z” passent leur temps à échanger, s’amuser, flirter via les réseaux sociaux. C’est choquant. C’est une dévalorisation des jeunes, qui existe d’ailleurs depuis toujours. Il faudrait néanmoins former les jeunes très tôt à l’utilisation d’Internet et aux outils de recherche : faire une requête sur Google ne signifie pas trouver la réponse à sa question.
Quel est leur rapport au travail ?
Contrairement à ce qu’on pense, les “Z” sont très entreprenants et peuvent travailler avec acharnement – certains créent leur entreprise avant leur majorité – à condition que ce soit par plaisir. Ma fille écrit un livre de cuisine parce que ça l’intéresse, pas pour en faire son métier. Elle le fait à fond : elle va, en fait, créer plusieurs livres – une version allemande, une anglaise, une pour les dyslexiques, etc. – parce qu’elle a trouvé des solutions techniques simples sur le Net. C’est naturel chez ces jeunes.
Les Z vont bouleverser les codes du travail. Beaucoup ne pourront qu’être leader dans leur société. Ils poseront leurs conditions : les entreprises devront être “clean” et connectées, avoir des valeurs et leur proposer des projets. Ils travailleront dur, à condition d’y trouver un intérêt et de donner du sens à leur quotidien. Les actifs de la génération Y, nés entre 1980 et 1995, seront aux commandes lorsque les Z arriveront sur le marché du travail. Or les Y sont plus ouverts au monde digital que la génération X, actuellement en place. La génération Z va profiter de cette ouverture et dira : « Vous me suivez, ou je dégage ».
On imagine des jeunes qui vont se responsabiliser très vite…
Les “Z” sont autodidactes et très créatifs. Quand ils cher-chent quelque chose sur le Net, ils le trouvent. Une Cana-dienne de 15 ans a inventé une lampe alimentée par la chaleur de la main. Les exemples sont multiples !
Certains refusent l’université, car ils apprennent mieux par eux-mêmes. Ils sont sceptiques quant aux diplômes actuels : ils savent que 70% des métiers futurs n’existent pas encore. Le système scolaire devra prendre en compte cette capacité à apprendre sur le Net, et redéfinir le rôle du professeur, qui pourrait devenir un coach. Les diplômes vont certainement disparaître, on parlera de compétences.
Quels consommateurs sont-ils ?
Infidèles aux marques ! Leur achat est une adéquation entre prix, utilité, reconnaissance fournie par la marque et plaisir. Ils achètent sur Internet, commandent quatre pantalons, les font livrer en boutique et n’en gardent qu’un : ils sont très exigeants. Il ne faut pas leur mentir ! Ni leur vendre en direct des produits. Ils sont très forts pour décrypter le marketing, ils dissèquent les sites au moment des soldes. On peut juste essayer d’être copains avec eux. Certaines marques américaines ont ainsi réussi à infiltrer des réseaux de danse et ont fait un carton.
Les magasins qui ne sont pas dans les réseaux disparaîtront certainement, tout comme les vendeurs, remplacés par les conseils des communautés virtuelles.
Y a-t-il une génération Z antillo-guyanaise ?
Les “Z” forment la première génération internationale, même s’ils sponsorisent les produits locaux, qu’ils achètent sur le Net. Aux Antilles et en Guyane, la musique a la part belle dans leurs communautés virtuelles.
Quelles sont leurs valeurs?
Ils sont ouverts d’esprit, s’opposent à tout racisme et n’ont pas confiance dans les instances politiques et judiciaires, trop salies par les magouilles. Ils aiment la cuisine à la maison et la vie saine, à tel point que des universités américaines se sont converties aux saladeries. Ils sont écolos et économes, ne s’intéressent pas aux voitures et plébiscitent des systèmes collaboratifs comme BlablaCar.
Des conseils aux parents qui craignent cette hyperconnectivité ?
Dialoguer avec l’enfant, et surtout ne pas interdire, pour garder le contrôle et éviter les dérives. Établir des règles aussi : pas de smartphone ou de tablette à table, ni dans les chambres. On les utilise uniquement dans un lieu de passage, propice à l’échange avec l’adulte.